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COVID-19 : fermeture des frontières et industrie de la GPA (B. Mahaur, VA)

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Bloqués par la fermeture des frontières, des couples français ayant démarré une GPA à l’étrangeront fait part à la presse de leur situation compliquée. Ces messages soulignent, malgré eux, les flux de cette industrie complètement mondialisée. Déjà, les cliniques spécialisées s’adaptent à ces nouvelles contraintes.

Par Betty Mahaur, juriste

Article original sur https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/societe/covid-19-comment-la-fermeture-des-frontieres-perturbe-lindustrie-de-la-gpa-118419

Des couples empêchés d’assister à l’accouchement de la mère porteuse 

Depuis le début de la crise du Covid-19, plusieurs médias se sont fait le relais de la situation de couples français, commanditaires d’une GPA à l’étranger. Ouest-France[i], France 3[ii]et Le Parisien[iii]partagent ainsi le message angoissé de Sophie et de son mari : bloqués en France, ils ne peuvent pas assister à l’accouchement en Ukraine de la mère porteuse. Le magazine Têtu[iv]relate le témoignage de François-Xavier et Thomas, séparés d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, seul François-Xavier ayant réussi à rejoindre à temps les Etats-Unis où la GPA a lieu.

Les choix de ces destinations ne sont pas anodins. Déjà des crises précédentes, tel que le tremblement de terre au Népal en 2015, avaient distingué les pays « producteurs » des pays « clients » sur ce marché particulier. Au-delà des presque 5 000 kms qui les séparent, un lien étonnant émergeait alors entre Israël et le Népal. À la suite du tremblement de terre, Israël a affrété en urgence un avion pour récupérer 25 enfants nés de GPA au Népal et leur éviter la catastrophe humanitaire. Seuls les nouveau-nés ayant un lien génétique avéré avec un couple israélien pouvait être rapatriés, les autres enfants – et les mères porteuses – devant rester au Népal[v].

Le marché de la GPA a depuis fortement évolué : de nombreux scandales ont conduit à la fermeture aux étrangers des cliniques de pays « producteurs »d’Asie (Indes, Thaïlande, Népal)[vi]. C’est l’Ukraine qui s’est imposée depuis comme le nouvel eldorado pour les couples occidentaux et asiatiques en mal d’enfant[vii].

La crise met en avant le rôle de l’Ukraine et des Etats-Unis dans le business de la GPA

L’Ukraine cumule les avantages avec son cadre juridique très favorable à la GPA, sa proximité géographique avec ses clients européens, et un prix 3 à 4 fois moins cher que la concurrence nord-américaine. La clinique BioTexCom, leader de la GPA en Ukraine, propose ainsi des tarifs allant de 39 900€ à 64 900€ pour le pack VIP[viii]– alors qu’une GPA aux Etats-Unis avoisine plutôt les 200 000 dollars[ix]. Aux dires de son fondateur, 99% des clients seraient étrangers[x].

L’exploit de ces cliniques est certainement de réussir à maintenir l’illusion dans l’opinion publique occidentale qu’une GPA en Ukraine serait « éthiquement acceptable », à l’inverse des GPA en Asie où la pauvreté des femmes est exploitée. Pourtant, les observateurs notent que la guerre en Ukraine et la crise économique auraient provoqué une hausse significative de l’offre en mères porteuses[xi][xii]. La rémunération actuelle d’une mère porteuse ukrainienne est de 10 000[xiii]à 20 000€[xiv]par grossesse. Une somme attirante, qui correspond à environ 5 à 10 ans de salaire local[xv][1]…Cela signifie aussi que la mère porteuse reçoit moins d’un tiers du prix de l’opération d’ensemble, le reste revenant aux intermédiaires (cliniques de GPA et services juridiques).

Seul bémol pour les entreprises ukrainiennes, la législation limite le recours à la GPA aux seuls couples hétérosexuels[xvi]. Les couples homosexuels préfèrent donc une autre destination, généralement les Etats-Unis. Il n’est donc pas surprenant que la presse relaie l’impatience des couples ayant effectué leur GPA soit en Ukraine, pour les couples hétérosexuels, soit aux Etats-Unis, pour les couples homosexuels.

La GPA est une industrie mondialisée, reposant sur les écarts de salaire entre les pays

Le ratio ukrainien d’une dizaine d’année de Smic local par GPA se retrouve aussi dans les pays asiatiques. On pourrait en conclure qu’il faut en moyenne l’équivalent de 10 ans de Smic local pour qu’une femme accepte de vivre la grossesse et la séparation de l’enfant à la naissance. On comprend dès lors que le business des mères porteuses pourrait difficilement s’industrialiser dans des pays comme la France, où les salaires sont trop élevés. Le Royaume-Uni est un cas éloquent. Malgré les possibilités offertes par la loi, les anglaises sont réticentes à devenir mères porteuses[xvii]et plus de deux-tiers des couples anglais continuent de se tourner vers l’étranger[xviii]. L’industrie de la GPA repose fondamentalement sur cette inégalité de salaire entre pays « clients » et pays « producteurs », les intermédiaires faisant le lien. La fermeture des frontières bouleverse nécessairement le secteur.

L’ensemble de la chaîne de production de la GPA doit se réorganiser avec la crise du Covid-19. De nombreuses cliniques ont dû décaler leur traditionnel tour de France au cours duquel elles prospectent leurs futurs clients. Il faudra se contenter de Skype et Zoom. Les associations et entreprises de la GPA font aussi pression auprès des autorités américaines et canadiennes pour permettre à titre dérogatoire la rencontre des parents avec « leurs » enfants nés de GPA, malgré la fermeture des frontières[xix].

En Ukraine aussi on s’adapte. BioTexCom a réduit ses forfaits de babysitting de 50€ à 25€ par jour en attendant que les couples puissent venir récupérer les nourrissons[xx]. Cet arrangement inquiète cependant les couples, préoccupés par les impacts de la solitude sur le nouveau-né, sans nécessairement s’interroger sur ceux induits par la séparation avec la mère porteuse.

Le Covid-19 a révélé auprès du grand public, peut-être plus qu’aucune autre crise, la géographie de la production de masques et de médicaments. Tout aussi polarisé, ce sont maintenant les rapports de force de l’industrie de la GPA qui sont mis à nu.

 

 

[1]Le salaire minimum local est d’environ 175€ / mois.

[i]https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-ayant-recours-la-gpa-ils-ne-peuvent-se-rendre-aupres-de-leur-enfant-6805256

[ii]https://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/eure/evreux/confinement-appel-aide-normande-qui-veut-aller-ukraine-naissance-son-enhttps://www.grazia.fr/news-et-societe/societe/gpa-mere-porteuse-ukraine-938643fant-gpa-1815332.html

[iii]http://www.leparisien.fr/societe/confinement-l-appel-a-l-aide-d-une-normande-dont-le-bebe-doit-naitre-par-gpa-en-ukraine-14-04-2020-8299311.php

[iv]https://tetu.com/2020/03/31/gpa-a-cause-du-coronavirus-ils-ne-pourront-peut-etre-pas-voir-leur-enfant-naitre/

[v]http://www.leparisien.fr/laparisienne/actualites/seisme-au-nepal-israel-va-evacuer-en-priorite-25-bebes-de-meres-porteuses-26-04-2015-4726311.php

[vi]https://www.leihmutterschaft-ukraine.top/maternite-de-substitution-en-ukraine/

[vii]https://www.la-croix.com/Monde/LUkraine-nouvel-eldorado-gestation-autrui-2018-11-12-1200982599

[viii]https://www.mereporteuse.info/services-prix/#1534757589-2-49

[ix]https://babygest.com/fr/gestation-pour-autrui-aux-etats-unis/#cout-du-recours-a-une-mere-porteuse-aux-usa

[x]https://www.mereporteuse.info/combien-coute-la-gestation-pour-autrui-en-ukraine-linterview-avec-le-proprietaire-de-biotexcom/

[xi]https://www.laender-analysen.de/ukraine-analysen/211/leihmutterschaft-in-der-ukraine-aufstieg-und-fall-eines-lukrativen-internationalen-marktes/

[xii]https://www.grazia.fr/news-et-societe/societe/gpa-mere-porteuse-ukraine-938643

[xiii]https://www.grazia.fr/news-et-societe/societe/gpa-mere-porteuse-ukraine-938643

[xiv]https://www.mereporteuse.info/combien-coute-la-gestation-pour-autrui-en-ukraine-linterview-avec-le-proprietaire-de-biotexcom/

[xv]https://www.laender-analysen.de/ukraine-analysen/211/leihmutterschaft-in-der-ukraine-aufstieg-und-fall-eines-lukrativen-internationalen-marktes/

[xvi]https://babygest.com/fr/gestation-pour-autrui-en-ukraine/

[xvii]https://www.lemonde.fr/societe/article/2015/06/18/au-royaume-uni-les-gens-prennent-conscience-que-la-gpa-existe_4657554_3224.html

[xviii]https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2016/feb/20/childless-uk-couples-forced-abroad-surrogates

[xix]https://tetu.com/2020/03/31/gpa-a-cause-du-coronavirus-ils-ne-pourront-peut-etre-pas-voir-leur-enfant-naitre/

[xx]https://biotexcom.com/the-cost-of-maintaining-a-child-decreased-from-50-euros-to-25/URL

 

 

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