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Devoir de visite pour les pères : revirement ou contradiction?

Emmanuel Macron propose, désormais, un « devoir de visite » qui incomberait aux pères dans les familles monoparentales. En 2021, il faisait pourtant voter la PMA sans père.

Entretien avec Aude Mirkovic sur Atlantico, 9 mai 2024

Entretien original sur altlantico.fr ICI

Atlantico : Dans un entretien au magazine « Elle »,  Emmanuel Macron propose de créer un « devoir de visite » des pères dans les familles monoparentales. Que vous inspire cet entretien ?

Aude Mirkovic : J’imagine que nous parlons des familles dans lesquelles le père, séparé de la mère, est absent et ne s’occupe pas des enfants. L’intention de ce devoir de visite est bonne, et on ne peut que se réjouir de voir que l’importance pour un enfant de ses deux parents, le père et la mère, est reconnue et que le Président essaie d’en déduire des conséquences pratiques. 

Cependant, s’il est louable de se préoccuper des dégâts pour les enfants des séparations parentales, je voudrais proposer, aussi et surtout, d’œuvrer en faveur de la stabilité familiale pour prévenir et éviter ces séparations. Cela passe par exemple par des mesures qui encouragent le mariage, c’est-à-dire à l’engagement, et encouragent ensuite à demeurer dans le mariage. Je ne dis pas que la loi doit interdire le divorce, je dis qu’elle peut, aussi, encourager le mariage et plus généralement la stabilité familiale. Une fois la famille éclatée, on peut tenter de réparer les dégâts mais j’aimerais un peu plus d’ambition en faveur des enfants. 

« Pour l’enfant, c’est mieux. Parce qu’un enfant qui ne voit jamais son père, c’est un enfant qui se sent abandonné » et dont « le développement affectif et éducatif n’est pas le même », affirme-t-il. Comment expliquer un tel revirement, Emmanuel Macron ayant pourtant fait voter la PMA sans père en 2021 ?

Nous sommes en effet en pleine contradiction : d’une part, le Président constate les dégâts de l’absence de père. Et, pourtant, la loi de bioéthique de 2021 a instauré la possibilité de créer, par procréation technologique, des enfants privés de leur père : je parle de l’insémination de femmes seules ou en couple avec une autre femme par un donneur. En vain objectera-t-on que la souffrance de l’enfant viendrait non de l’absence de père mais du fait que son père, qui existe, se désintéresse de lui. Ceci est artificiel : tout enfant a un père et, si le père est absent, c’est que l’enfant a été privé de lui. Parfois c’est en raison des aléas et malheurs de la vie. Parfois, c’est de façon volontaire. Or, l’homme qui donne ses gamètes si est un père qui se désintéresse de son enfant, avant même sa conception. Et, la loi organise ce désengagement du donneur, à tel point qu’elle interdit l’établissement d’un lien de filiation entre lui et l’enfant, preuve que la question se pose. 

Je ne sais pas s’il faut voir dans l’annonce de ce « devoir de visite » un revirement. Je crains que cela ne soit qu’une contradiction de plus mais voyons les choses de façon positive : cette réaffirmation du rôle du père peut contribuer à une prise de conscience chez les hommes du fait qu’engendrer un enfant emporte une responsabilité à son égard : non, le père n’est pas optionnel dans la vie d’un enfant. Oui, le père est important, crucial même. Concrètement, cela peut aider à prendre conscience de l’injustice qui résulte pour l’enfant de naître d’un don de sperme. Les donneurs de sperme sont trompés : ils pensent accomplir un geste généreux et altruiste, alors qu’il s’agit d’un acte irresponsable et égoïste qui entraîne pour l’enfant un préjudice, y compris juridique, en le privant délibérément de sa filiation. L’amour promis à un enfant ne justifie pas de le priver de sa lignée paternelle, délibérément. Si ce « devoir de visite » du père peut contribuer à une prise de conscience sur l’injustice d’effacer le père, ce sera très positif. 

Alors que le fond du problème concerne le bien-être des enfants, ne faudrait-il pas rappeler les individus à leur responsabilité sans envisager sans cesse des dispositifs contraignants ? Comment s’y prendre ? D’autant plus qu’on imagine mal comment mettre une telle mesure en place …

En effet, cette idée d’un « devoir de visite » semble impraticable : comment, concrètement, obliger un père à « visiter » son enfant ? Est-ce vraiment un cadeau pour l’enfant ? Nous sommes ici dans un déni du réel car il faut imaginer concrètement ce que pourrait être une visite contrainte entre le père et l’enfant. Si l’on veut responsabiliser les pères, ce qui est très positif, il faut arrêter de donner, réforme après réforme, un pouvoir démesuré à la volonté en matière de filiation, pour tenir compte du réel, de la réalité charnelle de la procréation. Engendrer un enfant emporte une responsabilité à son égard, et la loi peut contribuer à valoriser cela. Mais c’est tout un ensemble ; il faudrait par exemple arrêter de considérer l’autorité parentale comme un carcan dont on cherche à émanciper les enfants, ce que les lois successives font à chaque fois qu’elles allongent la liste des actes que les mineurs peuvent accomplir sans le consentement de leurs parents. L’autorité parentale est une institution protectrice de l’enfance, la minorité est un statut protecteur de l’enfance, et encourager les parents à assumer leur rôle d’adulte commence par cesser de considérer les enfants comme de petits adultes. Ce sera plus efficace qu’un devoir de visite hors sol. 

Dans quelle mesure peut-on également voir dans cet énième revirement d’Emmanuel Macron une preuve de son manque de conviction qui résulte en une démonétisation de la parole publique ?

Cela ne m’intéresse guère d’analyser la crédibilité ou le manque de crédibilité d’Emmanuel Macron. L’enjeu de ces réformes n’est pas là, l’enjeu est l’enfance, à savoir l’avenir de notre société. Si la société veut agir pour l’enfance, elle doit d’urgence renforcer la famille, la stabilité des liens familiaux, en valorisant et encourageant l’engagement et la famille durable. Comment me direz-vous ? De la même manière qu’on encourage des comportements écologiques : en les valorisant tout d’abord dans le discours, et les encourageant ensuite par des mesures financières, fiscales notamment. Encore une fois, il ne s’agit pas de sanctionner ceux qui divorcent ou dont la famille souffre, mais d’encourager et de récompenser le service rendu par la famille durable, à commencer par le mariage. Le mariage n’est pas la reconnaissance sociale de l’amour : si toutes les sociétés ont instauré le mariage, c’est pour protéger la filiation et offrir un cadre pour l’éducation des enfants. Commençons par renforcer ce cadre, c’est le meilleur service à rendre aux enfants. Renforcer la famille durable permettra en outre de s’occuper correctement des situations de séparation car les familles séparées sont aujourd’hui trop nombreuses et subissent non seulement la séparation mais, aussi, la surcharge des juges, des services sociaux, des aides diverses qui ne peuvent faire face à l’ampleur du phénomène.

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