La régulation des sites pornographiques et la protection des mineurs.

Table des matières

Article d’Aurélie GARAND, notre juriste, pour VILLAGE de la JUSTICE le 23 juillet 2025 : Retrouvez l’article en ligne ici

 

« Depuis plusieurs années, la France s’efforce de protéger activement les mineurs contre l’accès aux contenus pornographiques en ligne.

En revanche, l’action européenne demeure plus hésitante. La lenteur de l’Union européenne en matière de protection des mineurs freine la mise en œuvre du droit français, malgré l’existence d’un arsenal juridique national solide. »

 

I. Le cadre juridique de protection des mineurs contre la pornographie en France.

Depuis la loi du 1er mars 1994, l’article 227-24 du Code pénal français réprime de trois ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende « Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère […] pornographique, y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux, […] soit de faire commerce d’un tel message, lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ».

Afin que l’essor d’Internet permettant un accès anonyme, gratuit et illimité à la pornographie ne réduise pas la protection des mineurs voulue par ce texte à un vœu pieux, il a fallu créer de nouveaux outils.

En 2004, la loi française pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) impose aux hébergeurs et fournisseurs d’accès de retirer promptement les contenus illégaux, ou en rendre l’accès impossible, lorsqu’ils ont connaissance de l’activité ou l’information illicite, mais sans leur demander de surveiller tout ce qui circule sur leurs serveurs. Ils ne sont déclarés responsables du contenu illicite qu’à partir du moment où ils en ont connaissance.

Par la suite, dans la loi du 30/07/2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, le chapitre IX dédié à la protection des mineurs renforce le dispositif sanctionnant leur exposition à la pornographie. Désormais, les sites pornographiques ne peuvent plus se contenter d’une simple déclaration d’âge sur l’entrée du site pour soutenir avoir rempli l’objectif de protection des mineurs. En outre, la loi donne un pouvoir de sanction à une autorité administrative, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) (devenu en 2022 l’ARCOM : Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) : ce dernier peut, lorsqu’il constate que l’éditeur d’un service de communication au public en ligne permet à des mineurs d’avoir accès à un contenu pornographique en violation de l’article 227-24 du code pénal, mettre en demeure celui-ci de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs au contenu incriminé. En cas d’inexécution par l’éditeur dans un délai de quinze jours, il peut saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner aux fournisseurs d’accès à internet de mettre fin à l’accès à ce service (blocage du site, déréférencement).

Depuis l’adoption de cette loi, l’ARCOM tente de mettre en œuvre ces mesures :

- Mises en demeure [1] de sites pornographiques leur enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l’accès des mineurs à leur site.
Exemples : en décembre 2021, cinq sites dont Pornhub, Xvidéos et trois autres sont mis en demeure par l’ARCOM, en juillet 2022, c’est le site Jacquie et Michel TV qui est mis en demeure et encore en avril 2023, ce sont d’autres plateformes comme TNAflix, xHamster, Xvideos, etc [2]

- Saisine par l’ARCOM en 2022 du Président du Tribunal judicaire de Paris afin qu’il ordonne aux FAI le blocage de cinq sites mis en demeure en 2021 [3].

Ces procédures sont pour le moment suspendues à l’interprétation du droit européen. En effet, en réponse aux mises en demeure de l’ARCOM, des sociétés éditrices ont formé un recours en annulation du décret du 7 octobre 2021 devant le Conseil d’État qui a saisi la CJUE le 6 mars 2024 de questions préjudicielles [4].

Parallèlement, le Tribunal judiciaire de Paris a, le 7 juillet 2023 [5], sursis à statuer dans l’instance introduite par l’ARCOM contre les fournisseurs d’accès à internet (FAI), dans l’attente de la décision du Conseil d’État, elle-même suspendue à la décision qui sera rendue par la CJUE tranchant les questions préjudicielles posées.

Malgré cet insuccès des procédures mises en œuvre, la France cherche à durcir le ton : en 2024, avec la loi du 21 mai visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, la France donne davantage de pouvoir à l’ARCOM en lui confiant un pouvoir de blocage administratif.

L’ARCOM reçoit notamment la mission :

  • De veiller à ce que les contenus pornographiques mis à la disposition du public par un éditeur ou fournis par un service de plateforme ne soient pas accessibles aux mineurs.
  • D’établir un référentiel déterminant les exigences techniques minimales applicables aux systèmes de vérification de l’âge.

L’ARCOM publie en octobre 2024 un référentiel technique sur la vérification de l’âge pour la protection des mineurs contre la pornographie en ligne [6] qui est entré en vigueur :

  • En avril 2025 pour les sites domiciliés hors UE,
  • En juin 2025 pour les sites domiciliés au sein de l’Union européenne.

Ce texte impose aux éditeurs de sites pornographiques de mettre en place une vérification d’âge “efficace et robuste”.

Si un site ne met pas en place un contrôle de l’âge ou si celui-ci n’est pas conformé au référentiel, l’ARCOM peut :

  • En lien avec la CNIL, mettre en demeure le site de se conformer au référentiel et, en cas de persistance du manquement, lui infliger une sanction pécuniaire,
  • Exiger le déréférencement sur les moteurs de recherche,
  • Saisir le juge judiciaire pour lui demander de bloquer l’accès au site en France.

Un arrêté ministériel du 26 février 2025, pris par la ministre de la Culture et la ministre déléguée auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, chargée de l’intelligence artificielle et du numérique, liste en application de l’article 10-2 de la loi SREN du 21 mai 2024, 17 services de communication au public en ligne et de plateforme de partage de vidéos pornographiques dont le fournisseur est établi dans d’autres États membres de l’Union européenne, mais qui sont soumis aux dispositions des articles 10 et 10-1 de la loi de 2004.

L’adoption de cet arrêté poursuit un objectif d’ordre public de protection des mineurs contre l’exposition à des contenus pornographiques.

Au nombre de ces plateformes figure le service de partage de vidéos pornographiques dénommé xHamster, exploité par la société Hammy Media LTD qui, par deux fois, a tenté de demander la suspension dudit arrêté en référé en date des 2 mai 2025 et 16 juin 2025, mais sans succès. Par un arrêt du 15 juillet 2025, le Conseil d’État a rejeté cette demande en précisant que l’adoption de cet arrêté poursuit un objectif d’ordre public de protection des mineurs contre l’exposition à des contenus pornographiques [7].

Des mises en demeure ont été effectuées par l’ARCOM en 2025 à l’encontre notamment de sites pornographiques ne respectant pas leurs obligations en matière de protection des mineurs, en particulier l’obligation de mise en place de dispositifs efficaces de vérification de l’âge des utilisateurs [8].

Par ailleurs, dans un communiqué de presse en date du 28 août 2025, l’ARCOM s’est félicitée de la mise en place de dispositifs de vérification de l’âge par six nouveaux sites pornographiques tout en précisant qu’elle continuera de veiller au respect, par les sites pornographiques, de leur obligation de vérifier l’âge de leurs utilisateurs, afin de protéger les mineurs contre l’exposition à ces contenus qui leur sont préjudiciables. Elle évaluera, à ce titre, la conformité des systèmes de vérification de l’âge mis en place avec les exigences énoncées dans son référentiel technique. En cas de manquement de la part des sites concernés, l’Arcom précise qu’elle pourra prononcer, le cas échéant, des sanctions [9].

La France souhaite donc imposer des sanctions concrètes à ceux qui ne respectent pas l’interdiction d’accès des mineurs à la pornographie.

Mais des difficultés subsistent… Tout d’abord l’utilisation de VPN qui permet aux mineurs de masquer leur adresse IP, mais aussi de pouvoir contourner les processus de vérification d’âge en prétendant être dans un autre pays ou encore le développement de nouveaux sites proposant du contenu pornographique sans vérification d’âge et qui récupèrent ainsi une grande partie des utilisateurs des autres sites respectant l’obligation de protection des mineurs. Sur ce point, l’ARCOM assure qu’elle ne peut agir que de manière progressive et, qu’après s’être focalisée sur les sites les plus visités, l’autorité s’attaquera à ces plateformes émergentes [10].

Il convient toutefois de constater que, dans d’autres domaines tels que la lutte contre le terrorisme sur Internet, les appels à la violence ou à la haine raciale, la difficulté technique arrive à être surmontée. Une fois encore, il existe une ambivalence entre la volonté de lutter contre le fléau de l’accès des mineurs à la pornographie en ligne et l’absence de moyens efficaces mis en place.

Une autre difficulté subsiste également dans la mise en œuvre de la réglementation française vis-à-vis des sites implantés dans un autre État européen qui est aujourd’hui suspendue à la décision de la CJUE. Le droit français pourrait ainsi être mis en échec par le droit européen.

II. Des obstacles juridiques européens.

Beaucoup de sites pornographiques sont hébergés dans des pays membres de l’Union européenne.

Or, la législation en matière de protection des mineurs contre l’exposition à des contenus pornographiques diffère d’un État membre à l’autre.

La Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 (dite Directive e-commerce) impose le respect par l’État membre du principe du pays d’origine, c’est-à-dire que le prestataire de services de la société de l’information concerné par la Directive est soumis à la législation nationale de l’État membre dans lequel il est « établi » (considéré comme étant le « pays d’origine »). En s’appuyant sur cette directive, des éditeurs européens de sites pornographiques soutiennent qu’ils ne peuvent être tenus par la réglementation française puisque leur législation nationale ne prévoit pas de dispositif de répression similaire à celui de l’article 227-24 du code pénal.

La France par le biais du Conseil d’État a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en mars 2024 aux fins de savoir si elle peut imposer ses règles de protection des mineurs aux sites internet domiciliés dans un autre État membre, mais dont l’accès est possible sur son territoire [11].

Parallèlement, en 2021, les associations « e-Enfance » et « La Voix de l’enfant » souhaitant voir mettre un terme à l’accès des mineurs à des contenus pornographiques disponibles en ligne à partir du territoire français, ont assigné plusieurs fournisseurs d’accès à internet (FAI), afin qu’il leur soit enjoint de mettre ou de faire mettre en œuvre toute mesure appropriée de blocage de sites pornographiques tels que Pornhub, Youporn etc, au motif que ceux-ci ne mettraient pas en œuvre de dispositif de contrôle de la majorité autre que purement déclaratif.

Par un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 17 octobre 2024, n° 23/17972, la Cour a ordonné audits FAI de bloquer l’accès aux sites en attendant qu’ils se conforment aux obligations légales de dispositif de contrôle de la majorité et a prononcé un sursis à statuer sur la demande de blocage des sites domiciliés dans un autre État membre de l’UE jusqu’au prononcé de l’arrêt de Cour de justice de l’Union européenne sur la demande de décision préjudicielle transmise par le Conseil d’État aux termes de son arrêt du 6 mars 2024.

L’affaire est toujours pendante devant la CJUE à ce jour.

Si la CJUE donne raison aux éditeurs européens, alors l’arsenal juridique mis en place par la France pour protéger ses ressortissants ne sert à rien, à défaut d’une réglementation homogène, en la matière, au sein de l’Union européenne.

Si au contraire, la CJUE estime que le « principe du pays d’origine » résultant de la directive de 2000 sur le commerce électronique ne peut neutraliser le droit d’un autre État membre qui s’avérerait plus protecteur des enfants en ligne, alors, non seulement l’arsenal juridique français pourra déployer pleinement ses effets pour assurer une protection efficace des mineurs, mais les sites pornographiques situés dans un autre État membre de l’Union européenne devront également se conformer à la législation du pays dans lequel leur contenu est consultable.

En tout état de cause, la nécessité d’un élargissement, dans tous les États membres, des définitions des infractions pénales liées à l’exposition des enfants à un contenu pornographique est ainsi plus qu’urgente et nécessaire.

Un premier pas a été franchi en ce sens le 17 juin 2025, avec l’adoption par le Parlement européen d’un amendement au texte de la refonte de la directive européenne de 2011 relative à la lutte contre les abus et l’exploitation sexuels des enfants. Cet amendement prévoit que le fait de diffuser de la pornographie en ligne sans mise en place d’un outil robuste de vérification de l’âge constitue un délit d’abus sur mineur afin que ces derniers puissent bénéficier de la protection juridique qui en découle dans tous les États membres de l’Union européenne. Cette 1ʳᵉ étape législative est encourageante. Ce vote du Parlement constitue une première étape en vue de l’adoption finale de la directive révisée, qui devra ensuite être approuvée par le Conseil de l’Union européenne.

Parallèlement, la Commission a publié le 14 juillet 2025, des lignes directrices sur la protection des mineurs dans le cadre de la législation sur les services numériques afin de garantir une expérience en ligne sûre pour les enfants et les jeunes [12].
Les lignes directrices établissent une liste de mesures proportionnées et appropriées pour protéger les enfants contre les risques en ligne et s’appliqueront à toutes les plateformes en ligne accessibles aux mineurs, à l’exception des micro et petites entreprises.

Les lignes directrices recommandent notamment aux plateformes en ligne des méthodes de vérification de l’âge pour restreindre l’accès aux contenus pour adultes tels que la pornographie et les jeux de hasard.

La Commission européenne a également ouvert en mai 2025 des enquêtes à l’encontre de Pornhub, Stripchat, XNXX et XVideos pour des infractions présumées à la législation sur les services numériques [13].

Au vu de tous ces éléments, il est donc urgent que la Cour de justice de l’Union européenne prenne réellement la mesure des atteintes causées aux mineurs par l’exposition de ces derniers à la pornographie et rende prochainement une décision en faveur de la protection des enfants.

Conclusion.

Pour conclure, nous constatons une lenteur de l’Union européenne dans la lutte contre l’accès à la pornographie des mineurs. Elle vient sans doute du fait que la question de la pornographie reflète les ambivalences de notre société.
Une illustration peut en être donnée avec les propos du Professeur Israël Nisand, médecin et professeur de gynécologie obstétrique, qui a pu dire dans la même intervention : « Je ne suis pas opposé à la pornographie, après tout chaque adulte est libre de ses pratiques sexuelles » tout en estimant « qu’il faut absolument informer les enfants dans les écoles pour leur expliquer que, comme la drogue, la pornographie fait du mal » [14].

Il devient donc indispensable non seulement d’adopter les mesures juridiques adéquates, mais aussi de reconnaître la gravité des risques liés à l’exposition à la pornographie. Certes, les initiatives européennes vont dans la bonne direction, mais elles restent insuffisantes à ce jour et ces lenteurs ont des répercussions particulièrement graves sur l’ensemble de la jeunesse et, en définitive, sur la société tout entière [15].

 

Notes de l’article:

[14Protection des enfants et des adolescents contre la pornographie, Collège national des gynécologues et obstétriciens français, 15 juin 2018, Dossier de presse

 

 

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