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GPA : JPE interpelle le groupe d’expert de la Conférence de la Haye

Table des matières

GPA / Note adressée par Juristes pour l’enfance aux membres du Groupe d’experts sur le projet Filiation/Maternité de substitution

Objet : interrogations sur la poursuite des travaux du groupe d’experts

2020 06 Juristes pour l’enfance HCCH Note JPE aux membres du GT

 

Objet : interrogations sur la poursuite des travaux du groupe d’experts

 

I/ L’association JURISTES POUR L’ENFANCE est une association de droit français, qui conduit et développe« une action d’intérêt général à caractère familial et social centrée autour de la défense de l’intérêt des enfants nés, à naître ou à venir, et pour la protection de l’enfance sous quelque forme que ce soit». Elle a le statut de consultant auprès du Conseil économique et social de l’ONU.

L’association suit, depuis l’origine, avec un intérêt particulier, les travaux de la Conférence de la Haye relatifs à la reconnaissance transfrontalière de la filiation, notamment dans le contexte d’une maternité de substitution à caractère international (MSCI). Elle n’a cependant pas été sollicitée lors de la consultation organisée par le Bureau Permanent en 2012. Et ses seules sources d’information sont constituées par les documents (études et comptes-rendus) publiés sur le site de la Conférence.

Pour autant, le présent courrier ne vise pas à vous présenter, motu proprio, l’ensemble des considérations qui justifient notre opposition résolue à la pratique de la maternité de substitution. Il vise à vous faire connaître notre réaction indignée à la suite d’un fait récent qui, de notre point de vue, justifierait de la part du Groupe d’experts une décision radicale.

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II/ Nous voulons parler de la diffusion d’informations et d’images sur la situation de plusieurs dizaines de bébés issus d’une MSCI, que l’on a vus stockés dans un hôtel de Kiev, dans l’attente de l’arrivée des commanditaires étrangers qui ne pouvaient venir les récupérer en raison de la crise sanitaire mondiale :https://www.trt.net.tr/francais/video/europe/les-bebes-nes-de-meres-porteuses-bloques-en-raison-du-coronavirus

Ces images sont d’une inimaginable cruauté. Elles sont d’autant plus impressionnantes que la scène a été filmée, sans complexe, dans un but commercial, par la clinique responsable de la moitié des processus de MSCI en Ukraine, et que ce pays est, dans le monde un de ceux qui appliquent les règles les plus restrictives pour les maternités de substitution[1]. Elles ne peuvent pas laisser indifférent le Groupe d’experts.

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III/Alors que vous travaillez à l’élaboration d’un protocole relatif à la reconnaissance des décisions judiciaires étrangères dans le cas de MSCI, vous êtes  confrontés à un paradoxe.

III-1/D’un côté, la scène de Kiev montre, sous une forme extrême, une situation que vos travaux visent précisément à éviter : celle de nouveau-nés issus d’un processus de MSCI et que les parents d’intention ne parviennent pas à faire rentrer dans l’État d’accueil.

Le champ des travaux nécessaires a été clairement balisé par les études et documents publiés par le Bureau permanent préalablement à la constitution du groupe, en 2015, et votre mandat a été, depuis cette date, régulièrement confirmé par le Conseil sur les affaires générales et la politique.

Afin d’éviter la création de situations de filiation bancales, en particulier pour les enfants issus de MSCI, vous avez, entre autres, à trouver des solutions aux difficultés relatives à la délivrance des visas de sortie des États de naissance, notamment lorsque les enfants n’acquièrent pas la nationalité de ces États (comme en Ukraine, par exemple). Ces difficultés ont été identifiées dans les rapports préliminaires qui ont précédé la constitution du groupe[2]. Leur nature est ainsi résumée dans l’étude n°3 C de mars 2014 : « Les caractéristiques communes d’une grande partie des affaires … en termes de délais et de résultats pour les enfants … sont les suivantes : formalités longues, complexes, onéreuses et psychologiquement épuisantes que les familles peuvent avoir à affronter … pour ‘rentrer chez elles’ … (un État les a décrites comme un ‘obstacle bureaucratique qui n’est pas   forcément compatible avec l’intérêt supérieur des enfants’) »[3]. Des cas encore plus particuliers d’abandons d’enfants par les parents d’intention ont été également relevés[4].

Pour répondre à ces problématiques, vous vous orientez vers la rédaction d’un projet de protocole international sur la reconnaissance des décisions judiciaires étrangères dans les cas de MSCI. Un tel instrument a été, en effet, jugé faisable par la plupart des membres de votre groupe[5]. Cela signifie donc que, d’une manière certes partielle, vous estimez possible d’apporter certains remèdes aux difficultés qui vous sont soumises. « Compte tenu des progrès réalisés », vous pensez pouvoir «achever l’élaboration des dispositions de [cet instrument] …et présenter un rapport en mars 2022 pour que le Conseil prenne une décision finale »[6].

Ainsi, il existe une possibilité que la Conférence de La Haye publie dans moins de deux ans un projet d’accord international visant à faciliter le transfert frontalier des enfants nés d’une « mère porteuse » et destinés à des parents d’intention résidant à l’étranger.

III-2/Mais d’un autre côté, l’origine de la situation filmée à Kiev – la fermeture des frontières pour raison sanitaire – se situe totalement en dehors de votre domaine de compétence et de réflexion. Ainsi, le projet d’accord sera évidemment muet à propos du risque de fermeture des frontières pour des raisons indépendantes de la volonté des acteurs du processus de MSCI. Or ce risque, lié à l’éventualité de l’apparition de nouvelles pandémies, peut se reproduire. La scène de Kiev peut donc se renouveler après la diffusion du texte portant le sceau de la Conférence de La Haye. Les conséquences pourraient être désastreuses pour l’image de la Conférence ; celle-ci pourrait être taxée soit d’impuissance soit, pire encore, de complicité avec les « marchands de bébés ».

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IV/Comment expliquer et comment surmonter cette contradiction ?

IV-1/Pour notre part, nous pensons que l’explication est claire. Elle tient au caractère intrinsèquement discriminatoire des pratiques de maternité de substitution, des pratiques qui violent les droits des enfants qui  en sont les victimes, en les privant de filiation maternelle non pas par un accident de la vie, mais par un processus délibéré.

Survient la crise du COVID 19. Qu’a-t-on vu ? Au cours de la pandémie qui a frappé la planète en 2019-2020, hors cas de contamination, a-t-on vu une autre catégorie de nouveau-nés privée pendant des semaines de tout contact maternel ? A-t-on vu une ou plusieurs autres catégories de nouveau-nés privées (en tout ou partie) des droits inscrits à l’article 7 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE), en vertu duquel « l’enfant a, dès sa naissance, le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux » ?

La réponse à ces questions est certaine : non. Seule la catégorie des nouveau-nés issus d’une MSCI a subi de telles privations. Parce qu’aucun autre bébé n’a été privé, à cause de la fermeture des frontières, de la présence de sa mère qui venait de le mettre au monde.

La conclusion logique s’impose : la volonté humaine ne peut pas tout prévoir, elle ne peut pas tout organiser. Une pratique discriminatoire restera toujours une pratique discriminatoire.

 

IV-2/En conséquence, nous estimons que, face à cette révélation provoquée par la crise du COVID 19, le groupe d’experts devrait mettre immédiatement un terme à ses travaux. En visant à faciliter une activité intrinsèquement discriminatoire à l’égard des enfants, le groupe lui apporte une caution de fait, même s’il n’a pas pour objectif de l’organiser en tant que telle.

Àcet égard, notre association juge parfaitement illusoires les affirmations répétées dans chacun de vos rapports suivant lesquelles « les travaux de la HCCH dans le domaine des conventions de maternité de substitution ne doivent pas être considérées comme étant un moyen visant à favoriser la maternité de substitution ou à s’y opposer ». Le droit n’est jamais neutre sur le plan axiologique, nous le savons tous. Bien plus, en déclarant pour vos travaux l’ambition de « contribuer à empêcher les mauvaises pratiques »[7], en examinant « la possibilité d’une certification … pour vérifier que les conditions prévues par le Protocole ont été remplies »[8], en se montrant « favorable à l’idée d’étudier comment un mécanisme de certification pourrait fonctionner en l’absence d’un jugement »[9], votre groupe s’engage en réalité dans la voie d’une normalisation de la gestation pour autrui, ne serait-ce que par la définition des bonnes et mauvaises pratiques en la matière.

[1]HCCH – Affaires générales et politiques – Document préliminaire n° 3C (Étude), mars 2014, note 750, p. 93.

[2]Id. – Paragraphes 151 à154 et notes 593 à 599, p.71 et 72. – Paragraphes 176 à 178 et notes 680 à 687, p.83 et  84.

[3]Id. Paragraphe 176, p.83.

[4]HCCH – Affaires générales et politiques – Document préliminaire n° 3A, février 2015, annexe II, paragraphe 1.

[5]Rapport au Conseil sur les affaires générales et la politique, mars 2019, paragraphe 30.

[6]Rapport au Conseil sur les affaires générales et la politique, mars 2020, paragraphe 43.

[7]Rapport au Conseil sur les affaires générales et la politique, mars 2020, paragraphe 25.

[8]Id., paragraphe 31

[9]Id., paragraphe 41

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