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« Je veux emmener ma fille voir un psy mais son père refuse », CONSEILS D’EXPERTS JPE, Le Figaro

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CONSEILS D’EXPERTS – Cette semaine, dans notre nouvelle rubrique, des experts se penchent sur la situation d’Anaëlle dont la fille de 4 ans ment constamment.

LE CAS – À Saint-Chamond (Loire), Anaëlle* est assistante maternelle, mère de deux enfants de 4 ans et de 15 mois. Elle est séparée du père de son aînée, Julie, et vit avec son compagnon qui s’occupe de la petite comme de la sienne. Seulement, depuis un an, Julie «fait des crises, hurle. Se force parfois à vomir au restaurant. On a honte.» avoue tristement Anaëlle. «Quand je lui refuse un jouet, elle dit que je la maltraite. Elle m’a fait perdre mon emploi en disant à la mère du bébé que je gardais que j’enfermais sa fille dans une pièce, c’est faux!»
À la suite de cet épisode survenu fin janvier, Anaëlle a privé Julie d’une visite chez une copine ; c’est la première fois qu’elle se montre vraiment sévère avec sa fille. D’habitude, c’est son compagnon qui s’en charge puisque Anaëlle «déteste» la punir. «Quand je lui ai dit que c’était grave, qu’elle ne verrait donc pas son amie, elle a pleuré et m’a menacée de dire à la maîtresse qu’elle est maltraitée.» Stupéfaite, Anaëlle est allée voir la directrice de l’école pour lui demander quoi faire. «Emmenez-la voir un psy», lui a-t-elle conseillé. Mais c’est impossible : «Julie est déjà allée en voir un, ça lui faisait beaucoup de bien, mais son père refuse qu’elle y retourne. Or il faut son accord».

À nos spécialistes, Anaëlle voudrait demander : «Est-ce ma faute si ma fille se comporte comme ça, suis-je trop laxiste ? En même temps, quand je crie, elle se cache sous une table et n’ose plus en sortir. Ou est-ce que le problème vient d’elle ? Je ne sais pas pourquoi elle ment. Quand je lui demande, elle dit qu’elle ne sait pas. Je peux me passer de l’accord du père si je l’emmène voir un psy d’un centre-médico psychologique ? Et si je ne peux pas, je fais quoi ?»

L’avis de Lenaïg Steffens, psychologue clinicienne à Jouars-Pontchartrain (Yvelines) : «Ce n’est pas une histoire où j’identifie directement un problème éducatif»

Avant de prendre en charge un enfant, il est essentiel d’identifier la racine et le moteur des symptômes. Pourquoi cette petite fille se cache sous la table quand sa mère la gronde ? Manque-t-elle de cadre ? Est-elle en carence affective ? En fonction, il ne faut pas agir pareil. Un enfant qui est en manque de limites peut être puni. S’il est en carence affective, il est plus dangereux de lui dire  »va dans ta chambre ». Là, ce n’est pas une histoire où j’identifie directement un problème éducatif. Ses symptômes, le mensonge notamment, ne sont pas anodins: il est en effet essentiel que cette enfant voie un psychologue, pour établir un diagnostic précis.

On peut alors se demander pourquoi le père refuse qu’elle consulte ? C’est souvent le cas lors d’un conflit parental très vif, les parents ne parviennent pas à s’entendre et tout sujet est source d’agressivité même si cela va à l’encontre des besoins de l’enfant. Rassurez-vous, nous, psychologues, sommes habitués à vivre des situations de conflits au sein de nos cabinets et pouvons tout à fait les gérer et les calmer.

Peut-être aussi que le père refuse parce qu’il n’observe pas de symptômes chez sa fille lorsqu’elle est avec lui. Enfin, et c’est très souvent le cas, un des parents peut s’opposer à la prise en charge parce qu’il a lui-même une histoire compliquée avec les psychologues ou il croit simplement que  »ça ne sert à rien ». Dans ce cas, à nouveau il est intéressant de mobiliser ce parent autour de sa responsabilité parentale et de laisser, si besoin, au psychologue le soin de le faire.

Il est important de rassurer Anaëlle : pour toute suspicion de maltraitance de la part d’un enseignant ou d’un membre de l’entourage de l’enfant, une enquête a lieu et aucune accusation n’est établie sans preuve.

– Lenaïg Steffens, psychologue

Un autre point m’intrigue : le fait que la mère n’ose pas hausser le ton par peur d’être une mauvaise mère. Je pose la question : qu’elle a été l’enfance de cette maman ? Notre regard de parent est souvent biaisé par notre histoire infantile. Quand on a été maltraité ou humilié, il est difficile de faire la différence entre ses propres carences affectives et la réalité de l’enfance de nos petits et on essaie souvent de les protéger comme on aurait aimé l’être. Il m’arrive souvent de rencontrer des parents qui pensent que leur enfant est en dépression parce qu’ils assimilent leur enfance difficile à la sienne. Ils consultent afin de se débarrasser de leur crainte de reproduire un modèle, pour se sentir libres dans leur éducation.

Enfin, il est important de rassurer Anaëlle : toute suspicion de maltraitance de la part d’un enseignant ou d’un membre de l’entourage de l’enfant entraîne une enquête. Et aucune accusation n’est établie sans preuve.

Le fait pour un des parents d’emmener l’enfant voir un psychologue est-il un acte usuel ou important de l’autorité parentale ?

– Aude Mirkovic, porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance

L’avis d’Aude Mirkovic, de l’association Juristes pour l’enfance : «La mère doit saisir le juge aux affaires familiales».

D’abord, rappelons que les pères et mères exercent en commun l’autorité parentale et que la séparation des parents est sans incidence sur ce point (art. 373 du Code civil). Parmi les actes relevant de l’autorité parentale, on distingue les actes usuels des actes importants : tous requièrent l’accord des deux parents mais, pour faciliter la vie quotidienne, chacun des parents peut accomplir seul les actes usuels, l’accord de l’autre parent étant alors présumé (art. 371-2 C. civ.).

Le fait d’emmener l’enfant voir un psychologue, comme veut le faire Anaëlle, est-il un acte usuel ou important de l’autorité parentale ? La qualification se discute mais importe peu ici car, dès lors que le père s’oppose à ce que l’enfant voie un psychologue, son accord ne peut être présumé. Le psychologue ne peut donc continuer à recevoir l’enfant dès lors qu’il sait que le père s’y oppose. De même, la mère engagerait sa responsabilité si elle continuait le suivi de l’enfant malgré l’opposition du père.

Je lis qu’Anaëlle envisage un rendez-vous avec un psychologue d’un centre médico-psychologique (CMP) mais, indépendamment du délai d’attente toujours important dans ces structures, l’accord du père est nécessaire même dans ce cas ! Le psychologue ne pourra recevoir l’enfant contre sa volonté. Certes, les juges sont plus souples en pratique lorsque le psychologue exerce en CMP, au moins pour considérer que son avis présente des garanties d’objectivité puisqu’il n’est pas rémunéré par l’un des parents, la consultation étant ‘gratuite’. Il n’en reste pas moins que, sauf urgence pour la santé de l’enfant qui ne semble pas caractérisée ici, la mère doit saisir le juge aux affaires familiales pour pouvoir passer outre le refus du père (art. 373-2-8 C. Civ.). Le juge s’efforcera de concilier les parties et tranchera dans l’intérêt de l’enfant.»

*Le prénom a été modifié.

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