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Enfants en questionnement de genre : les sacrifiés de l’autodétermination ?

Table des matières

Aude Mirkovic

Maitre de conférences en droit privé

Porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance

Article original sur  Marianne

 

Un peu avant minuit, l’Assemblée nationale a adopté mardi 5 octobre la proposition de loi interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne.  

Ce texte est annoncé pour sanctionner les « thérapies de conversion », qui prennent des formes variées comme l’a expliqué la rapporteure la députée Laurence Vanceunebrock en début de séance : « exorcismes, retraites, stages de guérison, séances d’humiliation, hypnose, traitements par électrochocs, prescription d’anxiolytiques, d’antidépresseurs, injection d’hormones, ou encore mariages forcés, séquestration, privation de nourriture, coups et violences viols, et même excision ».

Le problème est que, sous prétexte de lutter contre de telles extrémités, le texte incrimine en réalité des actes qui n’ont pas grand-chose à voir avec ces effets d’annonce, à savoir les « pratiques, les comportements ou les propos répétés visant à modifier ou à réprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, vraie ou supposée, d’une personne ».

Il est en soi problématique, dans une société démocratique, de sanctionner pénalement des propos, des paroles : la liberté d’expression étant en jeu, on ne saurait légiférer qu’en tremblant et avec grande prudence. Et bien c’est tout l’inverse que fait ce texte qui prévoit au contraire d’incriminer de simples propos de façon vague et large : en particulier, la proposition de loi vise les « propos répétés visant à modifier l’identité de genre ». Que quoi s’agit-il ?

L’identité de genre renvoie au ressenti profond de la personne, qui peut se sentir homme, femme, aucun des deux, tantôt l’un, tantôt l’autre. Un tel ressenti est subjectif, il peut être mouvant, changeant et ce d’autant plus que, selon le député Bastien Lachaud, « il y a autant d’identités de genre que d’êtres humains sur cette planète ». Dans ces conditions, il va devenir compliqué de s’exprimer sans risquer d’en « réprimer » quelqu’une…

Plus sérieusement, pendant l’enfance et l’adolescence, les questionnements liés à l’identité et au genre sont classiques et font partie des multiples questionnements qui sont le propre de ces âges. Or, avec le texte adopté par l’Assemblée, qui pourra encore se risquer à recueillir les confidences d’une personne, surtout d’un jeune, à recevoir ses interrogations et ses doutes liés à son genre si les paroles prononcées, si les conseils donnés peuvent ensuite être considérés comme visant à modifier ou réprimer son identité de genre ? Par exemple, les parents d’une fille de 15 ans pourront-ils refuser la demande de celle-ci de se faire retirer les seins ? La question n’a rien de fantaisiste si l’on en croit le docteur Laetitia Martinerie, endocrinologue à l’hôpital Robert Debré à Paris, qui a expliqué lors d’un séminaire d’endocrinologie pédiatrique le 8 mars 2021que la mastectomie, c’est-à-dire l’ablation des seins, est  « maintenant largement pratiquée avant l’âge de 18 ans. Et notre plus jeune l’a eue à 14 ans ».

Quant aux psychologues, psychiatres, médecins, vont-ils pouvoir explorer les raisons pour lesquelles le jeune ne se sent pas bien dans son corps de fille ou de garçon, comment pourront-ils aider ces jeunes en souffrance à se sentir bien dans leur corps s’ils risquent la prison dès lors que leurs propos peuvent être considérés comme « réprimant » le genre de leur jeune patient ?

La question a été posée à la rapporteure du texte plusieurs fois, clairement : les parents pourront-ils s’opposer à une demande d’ablation des seins de leur fille de 15 ans qui se pense garçon ? Non seulement la rapporteure n’a pas répondu mais, au contraire, elle a dénoncé l’expression « dysphorie de genre » comme une « notion de nature psychiatrique » utilisée « pour laisser percevoir la transidentité, ou l’inadéquation entre identité de genre et genre de naissance, comme pathologique, de telle sorte qu’il faudrait l’éradiquer. On peut qualifier les pratiques en ce sens de thérapies de conversion ». Ces propos ne sont pas faits pour rassurer car ils incluent dans le champ des « thérapies » de conversion l’approche « psychothérapeutique » de la dysphorie de genre, qui explore les causes du mal-être du jeune lié à son corps et cherche à l’aider à se réconcilier avec son corps.

Laurence Vanceunebrock a ensuite justifié son avis défavorable à des amendements visant à durcir les peines encourues en expliquant qu’il ne faut pas « proposer des peines trop lourdes qui peut-être retiendraient les victimes par exemple de déposer plainte contre leurs parents pour juste des propos ou pour juste quelque chose de minime » : on est bien loin desséances d’hypnose, des électrochocs et des séquestrations invoquées comme prétexte, si le but est en réalité de sanctionner des parents pour « juste des propos ou juste quelque chose de minime »[1].

La proposition de loi oblige finalement les adultes, à commencer par les parents, à démissionner de leurs responsabilités à l’égard des jeunes. En effet, si un adulte trouve une satisfaction au mal-être lié à son corps d’homme ou de femme en transformant ce dernier, il prend ses propres responsabilités vis-à-vis de lui-même. Mais comment imaginer qu’un enfant puisse prendre de telles décisions en connaissance de cause ?

La prétendue autodétermintation de l’enfant est un artifice. Le statut de l’enfance est au contraire celui de la minorité, statut juridique protecteur qui interdit au mineur d’acheter de l’alcool, de conduire une voiture ou de voter. Ce statut est là pour le protéger de sa propre immaturité, immaturité qui ne lui est pas reprochée mais constatée comme le propre de son âge.

Dans ces conditions, si un enfant ou un adolescent ne peut acheter une canette de bière dans une épicerie, comment prétendre qu’il aurait le discernement pour prendre en connaissance de cause une décision de transition de genre qui fera de l’enfant en bonne santé qu’il était un « patient à vie », dépendant aux hormones jusqu’à la fin de ses jours sans compter les chirurgies à répétition qu’il subira probablement ? Ceci est d’autant plus grave que les témoignages commencent à arriver de jeunes adultes qui regrettent ces transitions affirmatives qu’ils ont réclamées pendant leur adolescence, et dont ils garderont les séquelles toute leur vie : ablation des seins, masculinisation de la voix…

Que deviennent cette prétendue autodétermination de l’enfant, son discernement et sa capacité à faire ses propres choix lorsqu’il prétend par exemple, qu’il ne veut plus aller à l’école ? 

Les amendements visant à supprimer du texte la référence à l’identité de genre, pour éviter de mettre en péril l’accompagnement psychothérapeutique des mineurs en questionnement de genre, ont tous été rejetés. Les députés ont-ils réalisé qu’ils organisent la démission des adultes, et abandonnent finalement l’enfant à une solitude et une responsabilité qui ne sont pas de son âge, sous prétexte d’une autodétermination dont les adultes veulent se convaincre pour eux-mêmes ?  

[1]https://videos.assemblee-nationale.fr/video.11260532_615ca5f8337b2.2eme-seance–interdiction-des-pratiques-visant-a-modifier-lorientation-sexuelle-ou-lidentite-de-g-5-octobre-2021(29ème minute).

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