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Partage de l’autorité parentale entre quatre adultes: «Est-ce conforme aux besoins de l’enfant ?» (maître A. Le Gouvello)

Table des matières

Article original sur lefigaro.fr du 8 février 2022

Tandis que l’ensemble du monde judiciaire dénonce le manque de moyens, l’encombrement des tribunaux, la maltraitance du justiciable, voici deux jugements du 7 janvier dernier qui ne contribueront pas à fluidifier le nombre d’affaires ni à faciliter la vie des enfants : le juge aux affaires familiales près le tribunal judiciaire de Paris a validé deux demandes de délégation partage d’autorité parentale entre quatre adultes. Un couple d’hommes (homosexuels) et un couple de femmes (homosexuelles également), amis, ont eu ensemble deux enfants : l’un des hommes a eu un enfant avec l’une des femmes ; l’autre homme a eu un enfant avec l’autre femme. Les deux enfants sont élevés par ces quatre adultes. Chacun des parents a demandé une délégation de l’autorité parentale au bénéfice de son conjoint, l’autorité parentale à l’égard de chacun des enfants se trouvant partagée par quatre personnes, ce qui a été accordé. Ces décisions semblent moins fondées sur les besoins de l’enfant que sur celui des adultes de voir valider le schéma parental qu’ils ont forgé, ce qui n’est pas sans conséquences.

Les parents sont titulaires, à l’origine, de l’autorité parentale. Mais en quoi cela consiste-t-il ?

L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents pour protéger leur enfant (art 371-1 du code civil). Il s’agit donc d’une prérogative des parents, qui fait que les décisions relatives à leur enfant sont prises par eux et nulle autre personne. Le titulaire de l’autorité parentale doit ainsi être consulté et donner expressément son accord pour tout acte non usuel de la vie de l’enfant : voyage scolaire, orientation, inscription dans un établissement privé, redoublement, opération (sauf urgence), suivi psychologique, etc… En matière d’orientation religieuse également : baptême, première communion, circoncision…

Pour les actes usuels (c’est-à-dire les actes de la vie courante de l’enfant), il faut l’accord d’un seul des deux parents. L’accord de l’autre est présumé (inscrire l’enfant au tennis, l’emmener chez le dentiste soigner une carie, signer une autorisation de sortie scolaire).

Pourquoi des parents font-ils une demande de délégation d’autorité parentale ? A quoi sert-elle ?

Tenant compte de situations particulières rendant l’exercice de l’autorité parentale difficile (éloignement, maladie, hospitalisation, prison…), la loi a prévu la possibilité d’une délégation de l’autorité parentale : les parents (ensemble ou séparément) peuvent, lorsque les circonstances l’exigent, demander au juge en une délégation de tout ou partie de l’exercice de leur autorité parentale à un tiers (art 377 C. civ.).Pour les besoins d’éducation de l’enfant, ils pourront partager avec ce tiers tout ou partie de l’exercice de l’autorité parentale. La multiplication des familles recomposées a étendu le recours à cette délégation : des parents, notamment soumis à des absences récurrentes, ont sollicité que leur nouveau conjoint en bénéficie afin de faciliter la prise en charge de l’enfant au quoitidien. Il est toutefois à noter que la plupart des familles recomposées fonctionne bien sans une telle délégation.

Cet outil est ainsi classiquement utilisé mais reste à manier avec précaution afin que le beau-père ou la belle-mère ne prenne pas la place de l’autre parent. Dans tous les cas, le juge doit regarder si « les circonstances exigent » cette délégation, au regard des « besoins d’éducation de l’enfant ».

Un partage de l’autorité parentale à quatre peut-il être nécessaire ? Est-il conforme aux besoins de l’enfant ?

Dans les jugements précités, il semble que ce qui ait présidé à la décision soit moins les besoins de l’enfant que le souhait par les adultes de voir reconnu le projet parental qu’ils ont édifié. La motivation, telle que la retransmet la presse, se fonde sur le fait que « les adultes ont construit un projet de parentalité à quatre, qu’ils ont su prendre en considération les besoins des enfants en fonction de leur âge, qu’ils ont fait homologuer une convention parentale, et qu’ils exercent de fait l’autorité parentale sur les enfants ensemble depuis leur naissance ». Le point de vue adopté n’est pas celui du besoin des enfants qui imposerait ce partage de l’autorité parentale mais celui du souhait des adultes de voir entériner une situation de fait qui fonctionne bien.

Cette délégation réciproque d’autorité parentale ne sert à rien concrètement puisque les enfants ont des parents qui peuvent donner leur accord et que le tout semblait marcher correctement.

Il apparaît dès lors clairement ici qu’il s’agit d’institutionnaliser le rôle des quatre adultes et la relation à quatre, en reconnaissant la « parentalité » de ces quatre personnes sur le même enfant. Cela ne répond pas aux besoins de l’enfant, comme la loi l’exige pourtant, mais à celui des adultes.

Pourquoi ne pas entériner une situation de fait si quatre adultes exercent effectivement harmonieusement l’autorité parentale sur un enfant, en lui apportant l’affection et tout ce dont il a besoin ?

L’objectif de la loi n’est pas de diluer ou distribuer l’autorité parentale comme récompense à toute personne s’investissant affectivement auprès d’un enfant. Il consiste à permettre que les décisions relatives à l’enfant ne soient pas bloquées du fait de circonstances rendant l’accord du parent impossible. Entériner des situations de fait revient à changer le sens et la portée de la délégation partage de l’autorité parentale.

En outre, les conséquences à l’égard de l’enfant seront néfastes.

Conflits, confusion des rôles et des identités, déconstruction et fragilisation de la filiation avec une reconnaissance de la pluriparentalité : l’enfant sera finalement le grand perdant.

Pour toute décision importante concernant l’enfant, au lieu de deux accords, il faudrait en obtenir quatre. C’est en une difficulté pratique qui prend tout son sens lorsque les couples se séparent : en cas de désaccord des titulaires de l’autorité parentale, c’est le juge qui tranche. Les tribunaux sont déjà saturés de contentieux entre parents qui s’opposent. Que va-t-il en être lorsque quatre adultes auront des prétentions sur les décisions qui concernent un enfant ? S’ils se séparent, vont-ils vouloir maintenir la délégation d’autorité parentale ? Ceux qui s’en trouveraient privés vont-ils l’accepter ? Les enfants accompagnés en audition devant le juge (ils peuvent être entendus quand ils ont l’âge), manifestent déjà bien souvent leur détresse, leur souffrance d’endurer les désaccords de leurs parents à leurs sujets. Que peut-il en être lorsque quatre adultes auront leur mot à dire et confronteront leurs divergences ? La vie des enfants ne va pas d’en trouver facilitée…

En outre, cette délégation d’autorité parentale réciproque entraîne une confusion du rôle de chacun à son égard et ainsi de l’identité de chacun, qui permettra de diluer la filiation réelle. Chacun de ces adultes veut être reconnu comme un parent de l’enfant. C’est un pas supplémentaire vers la pluriparentalité, celle-ci reposant sur l’idée que l’enfant n’est pas issu d’un père et d’une mère mais d’un « projet parental ». Nous glissons vers l’idée que la filiation repose sur l’intention, sur une construction sociale, et non pas sur une donnée objective. La pluriparentalité a déjà été entérinée dans certains pays : au Canada, après l’admission de la parenté de même sexe, la Cour de l’Ontario a reconnu trois parents à un même enfant, la mère, la compagne de la mère et le père biologique. En février 2013, un juge de Floride a également accepté d’inscrire sur le certificat de naissance trois parents. En Colombie britannique, le Family Law Act modifié en 2013 prévoit la possibilité qu’un enfant ait de multiples parents et un juge a entériné en avril dernier l’inscription de trois parents à l’état civil. La pluriparentalité peut d’ailleurs être imposé à des parents biologiques contre leur volonté.

L’évacuation du réel au profit de la fiction fragilise immanquablement les situations familiales : ce que la volonté fait, elle peut le défaire. Celui qui ne souhaitera plus assumer de quelconque responsabilité à l’égard de l’enfant le fera valoir. Celui qui n’est plus lié affectivement à son conjoint souhaitera retirer la délégation d’autorité parentale. Les situations conflictuelles ne manquent déjà pas avec deux parents, elles s’en trouveront accrues avec la multiplicité des adultes revendiquant des droits sur l’enfant.

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