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Aude Mirkovic : « L’UE veut contraindre les Etats à se rendre complices de trafics d’enfants »

Table des matières

Recension de l’article de Boulevard Voltaire à retrouver ICI

Marc Baudriller. Aude Mirkovic, vous êtes maître de conférences en droit privé et porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance. La Commission européenne a présenté, mercredi dernier, un texte qui oblige les états à reconnaitre comme parents d’un enfant toute personne reconnue comme telle dans un des états de l’Union européenne (UE). Pourquoi ce texte ? Y avait-il urgence ?

Aude Mirkovic. Il n’y avait aucune urgence à tel point que, dans la procédure consultative qui a précédé l’annonce de ce règlement, la Commission européenne a dû inventer des cas d’école parce qu’il n’y avait pas assez de cas réels pour justifier ce projet. On invoque la libre circulation des personnes comme prétexte pour contraindre les États à entériner les filiations établies dans les autres États, quelles que soient les conditions dans lesquelles cela a été fait. Concrètement, ce règlement, s’il était adopté, aboutirait à obliger les États à entériner ou à se rendre complice des trafics d’enfants de toutes sortes qui pourraient avoir été validés dans un État de l’UE.

M.B. Les États pourront-ils tout de même refuser ce règlement européen ?

A. M. Un règlement est un texte obligatoire pour tous les États, il s’applique d’office. Il n’a pas besoin de quelque mesure que ce soit pour être intégré dans le droit interne. Vous êtes parents dans un État, vous êtes parents dans tous les États, quelle que soit la manière par laquelle vous êtes devenus parents. Jusques et y compris si, pour devenir parents, vous avez dû acheter l’abandon d’un enfant ou si le projet parental concerne trois ou quatre personnes. Les États devront reconnaître chez eux toutes les personnes établies comme parents quelque part sur le territoire de l’Union européenne.

M. B. Combien d’enfants sont-ils concernés ? La Commission parle de deux millions.

A. M. Je ne sais pas du tout d’où la Commission sort ces chiffres. Mais le but est notamment de contraindre les États à reconnaître – lorsqu’un enfant a été obtenu par un contrat de gestation pour autrui – les commanditaires. Qu’ils soient reliés biologiquement ou non à cet enfant. C’est ce que l’on appelle les parents d’intention.

En réalité, ce n’est pas un texte au service des enfants parce que les enfants ont, comme premier droit, le droit au respect de leur filiation. Or, ces filiations ont été établies en violation des droits de l’enfant. Les enfants ont été délibérément privés de leur filiation biologique, puisque les parents biologiques ont été évincés, notamment par le recours à des donneurs, des vendeurs ou des mères porteuses, de manière à ce que les parents d’intention puissent bien faire établir leur projet sur l’enfant. La filiation maternelle de l’enfant est effacée de manière à laisser la place au projet parental d’autrui.

La Commission européenne voudrait obliger tous les États, au bout du compte, à entériner les trafics d’enfants. La Grèce, par exemple, a légalisé la gestation pour autrui : les clients de devront donc être reconnus comme parents par tous les États de l’UE. Ces États seront contraints de valider les contrats de GPA contraires à la dignité humaine et aux droits de l’enfant, traité comme l’objet d’un contrat.

M. B. Qu’est-ce que le certificat de parentalité ?

A. M. Le terme de parentalité est révélateur de l’idéologie qui a donné naissance à ce règlement. Il y a quelques mois, Juristes pour l’enfance a écrit à la direction juridique de l’UE pour lui dire que son questionnaire était illisible. Il annonce une initiative européenne sur la parentalité mais, en réalité, il vise les effets de la filiation. Le directeur juridique de la Commission a dit « lorsque vous lisez parentalité, comprenez filiation ». Il nous demande de faire comme si…, ce qui est vraiment grave comme consigne pour lire un texte juridique.

Il y a une contradiction majeure dans l’intitulé même. Ce certificat européen de parentalité ne veut strictement rien dire car la parentalité, en droit français, n’est pas la filiation. Elle vise le rôle éducatif des parents mais elle ne se confond pas avec la filiation, qui est le lien juridique reliant parents et enfants. Ce lien précède l’éducation. La parentalité n’a aucun des effets que lui attribuent ce projet européen et ce certificat, car en réalité, on parle de la filiation. Ce texte ne veut strictement rien dire. Le but est de nous imposer, depuis l’Europe, ce mot de « parentalité » pour remplacer le mot « filiation » car le terme de parentalité est beaucoup plus souple et moins porteur de cette référence à la réalité charnelle de la procréation qu’est la filiation. Ce concept de parentalité permet de reconnaître comme parent n’importe quel adulte investi dans le projet éducatif auprès de l’enfant.

M. B. Cette mesure a-t-elle une chance de passer ?

A. M. J’espère que plusieurs États de l’UE refuseront de valider les atteintes aux droits de l’homme et en particulier aux droits de l’enfant, cachées derrière la libre circulation des personnes. Il faut l’unanimité pour que ce règlement aboutisse. Il y a de fortes chances pour qu’il n’aille pas au bout, mais les États subissent des pressions. Par conséquent, rien n’est gagné. C’est pourquoi notre association est mobilisée pour informer et convaincre les États de refuser de se rendre complices des trafic d’enfants qui peuvent être légalisés dans certains États.

M. B. Qu’est-ce que cela dit de l’Union européenne ?

A. M. Cette institution fonctionne de manière idéologique. On brandit le principe de libre circulation des personnes comme si c’était le principe supérieur qui méritait qu’on lui sacrifie les droits de l’homme ou les droits de l’enfant en validant les trafics d’enfants.

C’est comme si j’achetais une arme dans un pays où c’est légal : pourrais-je imposer à tous les États de l’Union de circuler moi-même partout avec cette arme dans mon sac ? Ce principe de libre circulation n’est pas le seul élément en cause. Il y a d’autres principes et d’autres valeurs avec lesquels il faut le concilier. Si, par hasard, des personnes s’étant procurées des enfants par des moyens illicites et contraires aux droits de l’enfant étaient empêchées de vivre leur vie dans d’autres États de l’Union, tant pis. C’est peut-être une difficulté pour eux, mais ce n’est rien par rapport au désastre qui résulterait de la reconnaissance des trafics d’enfants.

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