Chronique du 19 mai 2025, à écouter sur radio Espérance ICI
La question de la protection des enfants face au réseau social Tik-Tok fait l’objet d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale au printemps 2025. Mais cette question doit être élargie à tous les réseaux sociaux.
Jonathan Haidt, psychologue social à l’Université de New York[1], fixe le début de l’exposition massive des enfants aux réseaux sociaux au début des années 2010, « au moment où plusieurs innovations technologiques majeures ont convergé [2]. Il postule qu’ainsi s’est achevé le passage d’une « enfance du jeu » à une « enfance du smartphone », avec la plupart des adolescents (et une part importante des enfants dès 8-9 ans[3]) possédant leur propre smartphone[4].
A leur apparition, les réseaux sociaux ont été vus comme une formidable opportunité permettant de renouer ou garder contact avec des amis malgré l’éloignement, de trouver des modèles inspirants, d’avoir un accès gratuit et illimité à des informations, vidéos et divertissements, de créer et de publier son propre contenu…
Mais alors que le temps passé sur les écrans a explosé[5], les premières inquiétudes ont commencé à émerger et aujourd’hui des chercheurs nombreux arguent d’effets négatifs majeurs des réseaux sociaux pour les enfants et les ados.
Or, il est extrêmement difficile de se détacher des réseaux sociaux. Des chercheurs soutiennent que « les médias sociaux présentent des éléments de conception de type addictogène qui (…) doivent nous pousser à reconnaître l’existence de l’addiction aux réseaux sociaux »[6].
Et même lorsqu’il n’y a pas addiction, la restriction ou l’éloignement des réseaux sociaux est ardue à mettre en œuvre de manière individuelle. Comme l’explique Haidt[7], il s’agit d’un problème d’action collective nécessitant une réponse collective. Celle-ci peut prendre en partie la forme d’une coordination volontaire de parents, telle que le groupe Facebook créé par Marie-Alix Le Roy en France, «Parents unis contre les smartphones avant 15 ans ».
Mais cela n’est pas suffisant et le droit doit être mobilisé.
Les enfants bénéficient en France d’une protection juridique particulière découlant du statut de minorité[8]. Cependant, selon les domaines dans lesquels il intervient, le droit peut introduire d’autres bornes d’âge.
Dans le domaine du numérique, une loi du 7 juillet 2023[9] a introduit la notion de majorité numérique fixée à 15 ans en restreignant l’inscription sur les réseaux sociaux pour les mineurs de moins de quinze ans, à la nécessité de justifier d’une autorisation parentale.
Cependant cette loi n’est jamais entrée en vigueur car elle a été considérée par la Commission européenne comme non conforme au droit de l’Union européenne.
En conséquence et contrairement à la pensée commune, il n’existe aucun encadrement spécifique de l’inscription d’un mineur français sur un réseau social.
En l’état actuel du droit, cette inscription relève donc du droit commun de la minorité, soit l’incapacité juridique générale du mineur de conclure un contrat, énoncée à l’article 1146 du Code civil.
Alors certes ce même code civil prévoit cependant pour les personnes incapables de contracter, la possibilité d’accomplir seules les actes courants autorisés par la loi ou l’usage, pourvu qu’ils soient conclus à des conditions normales. » (article 1148 du Code civil).
Mais compte-tenu des graves réserves que l’on peut faire aujourd’hui au sujet de l’utilisation des réseaux sociaux par les mineurs, doit-on continuer à considérer que l’inscription contractuelle sur un réseau social est un acte courant autorisé par l’usage qu’un mineur pourrait accomplir seul ?
On peut vraiment s’interroger.
En tout état de cause, il apparaît urgent, face à l’appétit des acteurs du numérique, de cesser aussi dans ce domaine de considérer les enfants comme des adultes en miniature devant assurer eux-mêmes leur protection, de restaurer la confiance dans l’autorité parentale et de mobiliser le principe fondamental de l’incapacité juridique du mineur, et de sa protection via les titulaires de l’autorité parentale. Gardons cela en tête !
Et le droit dans tout ça ?
Une chronique de Juristes pour l’enfance présentée chaque lundi sur Radio Espérance, par Olivia Sarton, Matthieu le Tourneur et Aude Mirkovic, à 8h, 12h45 et 19h20 (durée 3 minutes)
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[1] https://www.anxiousgeneration.com/
[2] Jonathan Haidt, « Génération anxieuse, comment les réseaux sociaux menacent la santé mentale des jeunes » Les Arènes, Paris, 2025 pour la traduction en langue française, p. 12 et 13
[3] « 35 % des jeunes âgés de 7 à 12 ans possèdent un smartphone. Ce taux atteint 89 % entre 13 et 19 ans » (Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cion-soc/l17b1030_rapport-fond)
[4] Jonathan Haidt, op cité, p.14
[5] « Un jeune âgé de 11 à 17 ans passe entre trois heures et trois heures trente, en moyenne quotidienne, sur les réseaux sociaux » (Audition Yves Carrioux, PDG Médiamétrie 3 avril 2025 Assemblée nationale, Commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cetiktok/l17cetiktok2425002_compte-rendu.pdf)
[6] Rapport « Enfants et écrans, à la recherche du temps perdu », avril 2024 https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/16/fbec6abe9d9cc1bff3043d87b9f7951e62779b09.pdf
[7] Jonathan Haidt, op déjà cite, p. 261 et s.
[8] Articles 388 et 414 du Code civil
[9] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047799533