Un homme devenu femme ne peut être inscrit comme mère sur l’acte de naissance de son enfant
Cour de cassation, première chambre civile, 16 septembre 2020 (18-50.080 ; 19-11.251)
Les faits
Un homme, marié avec une femme et père de deux enfants, demande à changer de sexe et à être reconnu comme femme à l’état civil. Les juges ont en effet admis, depuis maintenant assez longtemps, qu’une personne puisse changer la mention de son sexe à l’état civil.
Depuis une loi de 2016, ce changement de la mention du sexe peut intervenir alors même que la personne n’a subi aucune transformation physique et a donc pu conserver des organes génitaux fonctionnels de son sexe d’origine.
Ce qui devait arriver arriva et, dans notre affaire, cet homme devenu femme tout en conservant ses organes génitaux masculins, a pu concevoir naturellement un enfant avec sa femme. Une fois l’enfant né, il demande à être déclaré mère sur l’acte de naissance de l’enfant, se revendiquant comme « mère non gestatrice ».
La procédure
La Cour d’appel de Montpellier rejette sa demande et l’inscrit sur l’acte de naissance de l’enfant comme « parent biologique ».
Deux pourvois en cassation sont formés : le premier par la personne transgenre qui veut être reconnue comme mère, le second par le procureur qui conteste la mention parent biologique, inexistante en droit.
La Cour de cassation rejette le premier pourvoi : une femme trans (un homme devenu femme) ne peut être désignée comme mère de l’enfant dans l’acte de naissance : « en l’état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l’état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n’est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l’enfant, mais ne peut le faire qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservés au père » (§18).
Elle accueille en revanche le pourvoi du procureur et casse l’arrêt de Montpellier, récusant ainsi cette catégorie créée pour l’occasion de « parent biologique ».
L’affaire sera donc rejugée par une cour dite de renvoi. A suivre.
A ce stade, que peut-on dire de cette affaire ?
Commentaire
Le respect de la vie privée de la personne trans a conduit à la société à permettre la modification de son état civil dès lors que son apparence sociale est modifiée, même sans chirurgie, ni stérilisation, ni traitement médical (article 61-6 alinéa 3 du Code civil).
On pourrait s’interroger sur le rôle de l’état civil : est-il là pour donner des informations objectives sur les gens ou exprimer leur ressenti profond ?
Ceci est un autre sujet qui dépasse le cadre de notre chronique.
Restons-en donc à notre histoire qui manifeste les limites de cette démarche : l’état civil peut sans doute enregistrer une modification du sexe et un changement de prénom, mais pas réécrire une histoire familiale.
Cette affaire ramène à la réalité : la volonté individuelle ne peut être sans limite.
Concrètement, l’affirmation par la personne transgenre de son ressenti personnel ne doit pas priver l’enfant de sa filiation : la filiation n’est pas là en effet pour informer l’enfant sur le ressenti profond de ses parents mais lui dire qui sont ses père et mère.
L’auteur du pourvoi a bien un lien biologique avec l’enfant, mais en tant que père. C’est sa conjointe qui est la mère biologique de l’enfant. L’état civil peut faciliter la vie administrative des personnes transsexuelles, mais pas modifier la réalité de la conception de l’enfant.
En outre, comment ne pas voir les difficultés que la désignation de la femme transgenre comme mère pourrait entrainer ?
Pour commencer, désigner comme mère une personne qui a fourni le spermatozoïde à l’origine de l’enfant prive le terme de mère de signification. Quelle définition le dictionnaire pourrait-il donner du mot mère dans ces conditions ? Si les mots n’ont plus de signification, la pensée devient compliquée.
Ensuite, le ressenti profond de la personne qui la conduit au changement de sexe peut varier. Il existe des retransitions de personnes qui souhaitent revenir dans leur sexe d’origine. Si, dans notre affaire, l’homme devenu femme revenait à son sexe d’homme, faudrait-il alors à nouveau corriger l’état civil de l’enfant, pour que la mère (trans) redevenue homme redevienne aussi père ?
Pour finir, une question : la personne transsexuelle pourrait-elle adopter l’enfant, en tant que deuxième mère cette fois ? Le droit français permet en effet l’adoption par la conjointe de la mère.
La Cour de cassation ne l’exclut pas mais ne répond pas vraiment car elle relève, en l’espèce, le refus par la personne trans d’une telle « adoption intra-conjugale ». Ce refus lui évite de se prononcer sur l’intérêt de l’enfant de faire l’objet d’une telle adoption par son propre père devenu femme.
Il reste donc encore des questions en suspens, mais cette décision de la Cour de cassation rappelle opportunément que la volonté individuelle n’est pas sans limite.
La qualité de la relation entre cette personne et son enfant n’est pas en cause mais la Cour de cassation énonce ce qui semble une évidence : le changement de sexe d’un adulte n’implique que lui. Si ce changement de sexe relève de sa vie privée, il n’a pas vocation à bouleverser l’état civil d’autrui, en l’occurrence l’enfant.
Lire l’arrêt de la Cour de cassation du 16 septembre 2020
Voir l’analyse du pédopsychiatre Christian Flavigny dans le Figarovox:
Père ou mère ? Le lien filial doit tenir compte de l’intérêt de l’enfant