Tribune publiée à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant — 20 novembre 2025
Disponible sur : https://fr.aleteia.org/2025/11/20/linfantisme-la-nouvelle-ideologie-regressive-qui-menace-lenfance-et-la-famille/
Matthieu le Tourneur
Docteur en droit
Juristes pour l’Enfance
Le 20 novembre, nous célébrons la Journée internationale des droits de l’enfant. Voici une occasion de relire la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, dont le préambule rappelle que « l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux ». Trente-six ans plus tard, cette stipulation est menacée, certes par les guerres et l’exposition des enfants à des violences de toutes sortes, mais aussi par une idéologie émergente qui prétend libérer l’enfant… en le soustrayant à la protection assurée par ses parents. Cette idéologie c’est l’infantisme.
L’ « infantisme », ou l’ « enfantisme » — néologisme calqué sur l’anglais childism — postule qu’il existerait, à l’instar du racisme ou du sexisme, un « système de domination » des adultes sur les enfants. Les enfants y sont décrits comme une catégorie opprimée, intrinsèquement fragile, maintenue dans la dépendance par des préjugés systémiques. Pour y mettre fin, les tenants de l’infantisme appellent à renverser la domination en émancipant l’enfant de toute autorité, y compris et surtout parentale, pour en faire un être autonome, enjoint de s’auto-déterminer dès le plus jeune âge.
Abritée derrière des objectifs louables (lutte contre l’inceste et les violences), la conséquence principale est surtout la disqualification des parents comme premiers et principaux éducateurs de leurs enfants.
Car, dans la logique de ceux qui dénoncent le prétendu système de domination infantiste, l’autorité parentale n’est plus une protection mais une oppression. Éduquer, transmettre, poser des limites, dire « non » : tout cela est suspect, et même abusif. Les parents sont considérés au mieux comme des pourvoyeurs d’aliments, de couvert et de soins et au pire comme des oppresseurs narcissiques ou exploitants.
Ce renversement est grave. Il transforme la famille en un champ de bataille où l’enfant est invité à se poser en victime de ceux qui l’aiment le plus. Il remplace la logique du don et de l’amour par celle du rapport de force et de la domination.
D’aucuns considèrent que dénoncer la notion d’« infantisme » reviendrait à justifier les maltraitances. C’est une erreur. Personne ne nie l’existence de parents violents ou défaillants et la société doit protéger leurs enfants victimes. Mais faire de l’autorité parentale elle-même un problème structurel c’est introduire une confusion pernicieuse entre la mission des parents de faire pousser, faire grandir leurs enfants (le terme « autorité » est formé sur le radical auct— issu du verbe « augere » qui en latin signifie « augmenter », « faire pousser », « faire grandir »), et un pouvoir qui serait un pouvoir de domination.
Supprimer la protection juridique des enfants, qui s’exprime en droit français par l’autorité parentale, c’est les livrer sans défense à la merci des idéologies, des utopies et des prédateurs de toute sorte.
C’est aussi ouvrir grand la porte à un remplacement dangereux : celui de l’autorité parentale par l’État, caractéristique des régimes dictatoriaux.
L’infantisme n’est pas une théorie isolée. Cette notion est la dernière-née d’une longue généalogie idéologique allant de l’École de Francfort, à l’intersectionnalité woke, en passant par la French Theory, les rapports Kinsey, les théories critiques.
Le danger est plus concret qu’il n’y paraît. Quand l’école se donne pour mission de plus en plus large au fil du temps de se substituer aux parents dans leur rôle d’éducateur, y compris concernant les sujets les plus intimes et relevant de la vie privée dès la maternelle, quand on enjoint aux enfants d’être acteurs de leur propre protection dans des domaines qui les dépasse (sexualité, internet, etc.), quand on laisse entendre qu’un enfant peut choisir son identité sexuelle en dépit de la réalité biologique, quand on envahit le quotidien des enfants avec des problématiques d’adultes telle que la « crise climatique », on ne les émancipe pas : on les livre. Un enfant ne peut pas et ne doit pas être confronté à la vie adulte sans passer par ces étapes de construction qu’on appelle l’enfance et puis l’adolescence.
Pour autant, cette idéologie victimaire reste soumise à une contradiction majeure. En effet, à 18 ans, lorsque l’enfant devient adulte, l’« opprimé » devient « oppresseur ». Cette contradiction interne suffit à faire vaciller toute la théorie : aucune oppression durable ne peut reposer sur un critère aussi transitoire que l’âge. Le droit, lui, a déjà tranché depuis longtemps : il distingue, il discrimine — au sens noble du terme — entre majeurs et mineurs, et même entre mineurs selon leur degré de maturité. Cette distinction n’est pas une injustice : c’est la condition même de la protection.
Le 20 novembre, rappelons donc une évidence que l’infantisme veut nous faire oublier : l’enfant n’a pas besoin d’être émancipé de ses parents. Il a besoin d’être aimé, accompagné, protégé par eux. Les parents ne sont pas des ennemis de l’enfance ; ils en sont les premiers gardiens.
La vraie lutte pour les droits de l’enfant n’est pas de le dresser contre ceux qui lui ont donné la vie. Elle est de redonner aux familles la confiance, les moyens et la liberté d’éduquer leur enfant selon leurs convictions, dans le respect du développement et de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Contre l’infantisme, affirmons sans complexe : oui, les parents exercent une autorité sur leurs enfants, laquelle est ordonnée au bon développement de l’enfant. Il faut les encourager et les aider dans leur mission. C’est cela, protégez vraiment l’enfance et c’est ce que font l’immense majorité des parents à l’égard de leurs enfants, chacun à la mesure de son talent et de ses moyens !