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Ils ne veulent pas être pères, le PJL bioéthique leur donne raison (Tribune A. Mirkovic, Marianne)

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Aude Mirkovic, maître de conférences en droit privé et porte-parole de l’association Juristes pour l’enfance, s’inquiète que la loi bioéthique permettant d’étendre la procréation médicalement assistée permette à certains hommes de refuser leur paternité.

Tribune originale Marianne 7 juin 2021

« La mère me disait qu’elle prenait la pilule », s’indigne Rémi, un de ces hommes dont la presse a relayé récemment le refus d’endosser la paternité non désirée d’un enfant engendré à l’occasion d’une relation de passage. « Je suis juste un donneur X. On ne demande pas à un géniteur de prendre soin d’un enfant », se justifie encore cet homme qui, comme d’autres, n’avait pas de projet parental, n’a toujours aucune envie d’être père et n’accepte pas qu’une paternité non désirée lui soit imposée. C’est pourtant ce que permet la loi au moyen de l’action en recherche de paternité, qui a pour objet la déclaration judiciaire de la paternité que le géniteur refuse, et 798 actions ont été introduites dans ce but en 2019 : l’action appartient à l’enfant mais, pendant la minorité de ce dernier, elle peut être exercée par la mère.

La Cour de cassation est régulièrement saisie par des hommes mécontents qui contestent la conformité à la Constitution de cette action (Cour de cassation, Chambre civile 1, 4 décembre 2019, n° 19-16.634 ; 22 mars 2017, n° 15-20.547 ; 9 novembre 2016, n° 15-20.547 ; 28 mars 2013, n° 13-40.001): ils invoquent une supposée inégalité qui permettrait aux femmes de leur imposer une paternité alors qu’elles-mêmes restent maîtresses de leur maternité. On appréciera le message très constructif adressé à l’enfant : puisque ta mère peut refuser sa maternité, je veux pouvoir en faire autant, comme si l’enfant était une variable d’ajustement au service d’une égalité entre les parents. Quoi qu’il en soit, la Cour de cassation juge l’argument d’égalité mal fondé dès lors que le Code civil ouvre à l’enfant tant une action en recherche de paternité contre son géniteur qu’une action en recherche de maternité contre la femme qui l’a mis au monde, et ce même si la femme a accouché dans le secret (accouchement sous X).

« Le projet détache la filiation de la réalité charnelle de la procréation pour la fonder sur la seule volonté des adultes »

Le droit de la filiation étant tout entier construit en référence à la réalité charnelle de la procréation, le géniteur a vocation à être père : habituellement, il se reconnaît comme tel mais, si besoin, il pourra être déclaré père par décision de justice si l’enfant le demande et, jusqu’ici, la Cour de cassation a rejeté pour « défaut de caractère sérieux » les actions visant à contester l’existence même de cette action en recherche de paternité.

Pour autant, le projet de loi bioéthique dont l’examen commence ce lundi 7 juin en troisième lecture à l’Assemblée nationale pourrait, s’il est adopté, conférer à la contestation masculine un caractère tout à fait sérieux. En effet, en introduisant la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples de femmes, ce texte confère à la volonté des adultes concernés, les femmes et le donneur de sperme, le pouvoir d’écarter d’une part le donneur comme père et de consacrer d’autre part la seconde femme comme mère, le tout en marge de la réalité biologique disqualifiée pour l’occasion en matière de filiation : autrement dit, le projet détache la filiation de la réalité charnelle de la procréation pour la fonder sur la seule volonté des adultes.

Dans ces conditions, comment continuer à imposer à un homme la paternité d’un enfant qu’il ne veut pas et n’a jamais voulu ? La rapporteure du projet de loi, la députée Coralie Dubost, affirme que les situations sont différentes puisqu’il s’agit dans un cas d’une relation sexuelle et dans l’autre d’une PMA. La belle affaire, en quoi est-ce différent, une fois la question posée sous l’angle du droit de l’enfant de rechercher sa filiation paternelle ? À la limite, l’homme géniteur à l’occasion d’une relation de passage est encore moins impliqué qu’un donneur au regard de la filiation car le donneur, lui, a volontairement fourni ses gamètes en vue de la conception de l’enfant, ce qui n’est même pas le cas du géniteur imprévu.

« Les avocats des hommes qui refusent toute paternité ne tarderont pas à réclamer au bénéfice de leurs clients l’absence d’intention et, par conséquent, l’absence de filiation »

Selon la rapporteure, « il y a la filiation par la voie charnelle, qui continuera d’exister, et la filiation par la voie de la volonté, qui sera ajoutée en ce qui concerne les couples de femmes » (Coralie Dubost, Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, 2 juin 2021, Séance de 21 heures, compte rendu n° 4). Il est difficile d’être convaincu car l’égalité devant la loi est en jeu, et au nom de quoi maintenir contre leur gré certains hommes dans ce système de paternité charnelle alors qu’ils adhèrent à ce nouveau système de filiation volontariste ?

Sans doute, le projet de loi ne supprime pas explicitement l’action en recherche de paternité. Il la maintient formellement en l’état mais fournit les armes pour la contester : le second rapporteur, le député Jean-Louis Touraine, expliquant « que la filiation d’intention doit être pleinement considérée à sa juste valeur et prévaloir sur la filiation biologique »(Rapport d’information de la Mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique, n° 1572, 15 janvier 2019, p. 78), les avocats des hommes qui refusent toute paternité ne tarderont pas à réclamer au bénéfice de leurs clients l’absence d’intention et, par conséquent, l’absence de filiation.

LA VOLONTÉ COMME FONDEMENT DE LA FILIATION

Sans doute encore, la PMA actuelle pour les couples homme/femme infertiles permet déjà le recours à un donneur et l’action en recherche de paternité semble pourtant tenir bon. Pour l’instant, car le don de gamètes actuel est conçu comme une mesure d’exception, le donneur ayant vocation à s’effacer derrière le père légal. C’est déjà problématique, et les pères malgré eux auraient pu invoquer l’inégalité qui existe bel et bien non pas entre hommes et femmes mais entre hommes, et plus précisément entre géniteurs, dès lors que la loi organise pour certains, les donneurs, le désengagement de toute paternité alors qu’elle contraint les autres à endosser la leur.

Déjà en germe dans la loi, la volonté comme fondement de la filiation fait son chemin et le projet de loi bioéthique s’apprête à franchir un cap significatif puisqu’il fait prévaloir cette volonté non seulement sur la vérité biologique mais, encore, sur la vraisemblance biologique. Quoi qu’on en dise, une fois la réalité biologique de plus en plus mise de côté, une fois la filiation d’intention « pleinement considérée à sa juste valeur », on ne pourra pas continuer bien longtemps à imposer à des amants de passage une paternité explicitement refusée.

Il ne sera pas suffisant de dénoncer, comme on l’a vu la semaine dernière en Commission spéciale bioéthique, ce refus de paternité comme le « summum de la déresponsabilisation des hommes » (Coralie Dubost, op. cit. Le compte rendu n° 4 relatif à cette séance ne retranscrit pas tels quels ces propos qui figurent sur l’enregistrement vidéo), ni de vilipender « des mecs qui se sont envoyés en l’air… et qui voudraient n’en tirer aucune responsabilité pour l’avenir » (Coralie Dubost, op. cit. compté rendu numéro 4.) si, dans le même temps, le projet de loi bioéthique donne un fondement légal implicite à cette irresponsabilité en promouvant la volonté comme fondement de la filiation.

Imposer à un homme la responsabilité de l’enfant qu’il a engendré est un combat de toujours. L’ancien droit protégeait l’enfant grâce à l’adage « qui fait l’enfant doit le nourrir » et l’œuvre du XXe siècle fut de permettre à l’enfant né hors mariage d’obtenir non seulement des subsides mais l’établissement de sa filiation paternelle.

La PMA pour les couples de femmes, en consacrant la filiation fondée sur la volonté, pourrait avoir pour effet collatéral le laisser pour compte les enfants qui, précisément, ne seront pas voulus. Des enfants livrés aux aléas des volontés des adultes, voilà qui semble bien la rançon d’une filiation fondée sur la seule volonté.

Au moment de s’engager dans cette voie, peut-être serait-il opportun de s’en soucier ?

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